Marteau, enclume et étrier.

Ce texte est un exercice. Les mots soulignés ont été imposés lors de l’écriture.

Jamais je n’oublierai ce petit garçon.

Il doit être adulte aujourd’hui, peut-être jeune papa, peut-être directeur de banque ou chef d’orchestre. Qui sait ? Mais ma mémoire l’a gardé, bien enfoui toutes ces années, à l’état de garçonnet de six ans. Il s’appelait Étienne, c’était le plus jeune de notre classe de musique. Cela se voyait, il était le plus petit en taille, il paraissait un peu simplet, vêtu comme les enfants des années cinquante, en bermuda et chaussettes hautes quelque soit la saison. C’était un peu incongru en 1994 et beaucoup n’étaient pas tendres avec lui.

Je me souviens que ses cheveux, raides et indomptables, retombaient en tignasse anarchique sur ses yeux rêveurs. Il semblait indifférent au monde qui l’entoure, aux moqueries et aux commentaires qu’il essuyait. On aurait dit un adulte perdu dans le corps d’un enfant. Il portait toujours autour du cou une pierre précieuse, comme un phylactère contre les mauvais sorts. Il faisait tout très vite, ses gestes étaient cursifs, précis, mécaniques et sa voix grave. Bien trop grave pour un si petit enfant.

Mais cet enfant étrange avait un don.

Étienne avait ce que l’on appelle l’oreille absolue. Il était capable de reconnaître un son les yeux fermés. Parmi les 88 notes jouées sur le vieux piano de bois, il savait, sans l’ombre d’un doute, s’il s’agissait d’un do, ou d’un si bémol.

Parfois, notre professeur composait au hasard une mélodie. Dès la première écoute, le petit bon homme qu’il était commençait à noircir ses portées. Ce qui ne semblait qu’être gribouillis s’étirait peu à peu en arabesque sur son cahier, jusqu’à ce que la mélodie exacte soit tracée entre les lignes comme tissée sur un fil.

Au moment de la correction, nous sortions les stylos rouges. Nos portées se couvraient alors de signes et de ratures tant il y avait de coquilles. Nos fronts se plissaient sous l’effort que nous imposait la dictée. Nous tentions d’entendre le dièse ou le bémol que nous avions laissé filer.

Étienne, lui, s’ennuyait. Tourné vers la fenêtre, il semblait absorbé dans la contemplation du logogramme étalé en rouge sur le bâtiment d’en face.

Cet enfant avait un don, c’était un surdoué, un incompris. À l’âge où nous dessinions des rébus, il avait déjà tout pour devenir un grand, un très grand musicien.

Je n’ai jamais su ce qu’il était devenu.

Mais parfois, lorsque je zappe sur la station radio de musique classique, je me plais à imaginer que cet orchestre joue sous la direction d’un certain Étienne. Un jeune homme un peu perdu, avec une tignasse brune et une oreille parfaite.

Diane

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