Ça y est ! Le 24 décembre est déjà là ! Moi qui pensais il y a un mois le fêter à Paris dans un grand restaurant avec la famille de Quentin, je me réjouis d’être dans mon petit village entouré de ceux que j’aime. Je bondis de mon lit, il y a tant à faire !!!!
En arrivant dans la cuisine, je fais un bond ! Ma mère a décidé de faire peau neuve et a recouvert son visage d’un masque verdâtre digne du film de Jim Carrey. L’argile a dû bien sécher car lorsqu’elle me sourit, les coins de sa bouche semblent se craqueler. Avec ses bigoudis et son peignoir à fleurs, elle en effraierait plus d’un ! Je consulte la feuille à carreaux qui traîne sur le plan de travail car je sais que Maman adore faire des listes. Je commence par emballer les cadeaux. J’ai un vrai talent pour cela. Quentin disait toujours que je devrais faire les emballages dans les grands magasins pour les fêtes de fin d’année tant je maîtrise le pliage en un temps record ! J’ai un sourire nostalgique suivi d’un vague malaise au creux du ventre. Peut-être qu’avec le temps, je parviendrai à penser à lui sans aigreur, sans regrets. Je l’espère sincèrement.
En un clin d’œil je m’applique à faire en sorte que les cadeaux soient aussi jolis de l’extérieur que de l’intérieur. J’ai acheté pour cela du papier kraft étoilé, du ruban argenté et je prends soin de glisser dans chaque nœud une branche de sapin. Le résultat est à la hauteur et je m’empresse de poser le tout sous le sapin. Ma mère a aussi emballé des cadeaux, et je me demande ce qu’ils peuvent bien contenir. Je ne lui ai pas donné d’idées pourtant…
Tout à coup, ça sonne à la porte. Devant moi se tient le facteur, les joues rosies par la côte qu’il vient de monter à vélo. Il me tend deux colis à mon nom et me souhaite de bonnes fêtes. Je suis impatiente de les ouvrir, d’autant que l’écriture est un peu effacée et ne me donne aucun indice sur l’expéditeur. En revanche il y a un grand paquet plat et un autre plus petit qui fait un bruit mat quand on le secoue. La tentation est forte mais je me décide à laisser la surprise pour le soir et les dépose sous l’arbre avec les autres cadeaux. J’ai l’impression que je vais être gâtée ! D’habitude je recevais toujours le même parfum de la part de Quentin. Même quand la bouteille de l’année précédente n’était pas encore entamée !
La matinée défile tant nous sommes occupés à mille choses. Après un repas léger et un café, je monte dans la chambre et me recroqueville sous la couette. J’ai envie d’une bonne sieste pour être en forme ce soir. En quelques minutes, je glisse dans un sommeil profond et réparateur deux heures durant.
Le réveil est rude mais, telle une enfant attendant chaque matin le chocolat du calendrier, je descends d’un pas guilleret. La table est prête à être dressée. Nous y déposons la nappe immaculée ainsi que les chemins de table, étoiles et photophores. Maman a sorti ses plus belles assiettes, les couverts en argent et les verres en cristal qu’elle a hérité de ses parents. Nous passons un temps infini à tenter de plier les serviettes en tissu en petits sapins. Mon habileté pour le pliage de papier cadeau n’est visiblement pas au rendez vous car le résultat n’est pas aussi joli que sur le modèle !
Nous posons la carafe d’eau, le panier à pain et la sempiternelle bouteille de Maggi qui agrémente tout ce que mon père avale. Je pose ensuite mes menus étoilés près des assiettes et vais allumer notre vieille chaîne hi-fi pour écouter le CD de chants qui a accompagné tous les Noëls de mon enfance.
Ensuite nous préparons les toasts pour l’apéritif. Nous tartinons le foie gras sur de petites tranches de brioche grillée et disposons dessus un peu de confit d’oignon, de figue ou de gelée au madère. Les toasts au saumon sont accompagnés d’une baie rouge et d’un brin d’aneth. À la fin, nos plats sont remplis de jolies couleurs et n’attendent plus qu’à être dégustés. Le champagne est au frais, la bûche est recouverte des petits sujets en plastique et nous montons nous préparer.
Maman retire ses bigoudis et ses cheveux forment une énorme masse de boucles indomptables. Je l’aide à discipliner sa chevelure à l’aide de mousse et d’un peu de laque. Puis elle tente de se maquiller mais je vois sa main trembler. La pauvre n’a pas l’habitude de manier le crayon ni l’eye-liner ! Finalement, elle s’assoit docilement sur le tabouret de la salle de bains et je m’occupe de tout. Un peu de poudre et de mascara plus tard, je la trouve saisissante. Elle, en revanche, ne se reconnaît pas et pense utile de me préciser qu’elle n’a pas l’intention d’aller en discothèque ce soir. Je me retrouve à tout estomper au coton jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite !
Tandis que je tente une coiffure élaborée devant le miroir avec mon fer à friser, Maman s’installe sur le rebord de la baignoire et me regarde dans le reflet du miroir.
-Tu es belle, ma chérie. Je ne te l’ai jamais dit mais je suis très fière de toi, tu sais.
-Ah bon ? Pourtant ces derniers mois, j’ai l’impression de me laisser un peu porter par les flots…
-Mais pas du tout ! s’insurge Maman. Tu ne te laisses pas du tout porter, je ne suis pas d’accord ! Au contraire, tu mènes ta barque, tu fais tes propres choix. Bon, c’est sur, j’ai été surprise et déçue que votre mariage soit annulé. Mais quand je te vois aujourd’hui, je suis réellement convaincue que tu as pris la bonne décision.
-Merci, Maman. Ça me fait du bien de t’entendre dire ça.
-Et puis tu as un chouette travail, ça te plaît toujours n’est-ce pas ?
-Puisque tu abordes le sujet, je suis en train de me chercher. J’aimerais trouver autre chose. Mais je continuerai à m’assurer financièrement. D’ailleurs dès que les fêtes seront passées, je me mettrai à la recherche active d’un appartement.
-Ton père et moi sommes enchantés que tu sois à la maison. Tu peux y rester aussi longtemps que tu le souhaites. Vraiment.
Je me retourne et serre ma mère dans mes bras. Une bouffée d’affection me fait monter les larmes aux yeux. Maman ressent visiblement la même chose puisque du noir coule le long de ses joues. Nous rions ensemble et essuyons les rigoles de mascara.
A 19h tapantes, Coralie et Agnès font leur entrée les bras chargés de cadeaux. Maman met les feuilletés apéritif surgelés dans le four et nous rejoint au salon avec les coupes de champagne et les toasts. Papa a allumé le feu non sans difficulté visiblement car il est recouvert de poudre noire et ses yeux sont larmoyants. Ma mère lui jette un regard qui en dit long et il s’éclipse pour enfiler une chemise propre. La petite flamme qui pointe au milieu de l’amas de papier journal oscille et semble hésiter entre s’embraser d’un coup ou s’éteindre franchement. Au bout de quelques minutes, le bois craque, la flamme prend vie et la soirée peut commencer !
Après deux coupes de champagne, les conversations vont bon train et mon père trouve en la personne d’Agnès un public de choix pour ses blagues parfois vaseuses. Coralie a des cœurs à la place des yeux quand elle parle de Romuald. Sa mère la taquine gentiment et j’envie la relation si simple qui les unit. Le regard pétillant, Coralie nous annonce qu’elle a fait une demande à son employeur pour travailler depuis la maison via son ordinateur. Elle va rester chez sa mère le temps que sa jambe aille mieux et songe par la suite sérieusement à louer le petit studio au dessus de chez Jeanette, la fleuriste afin d’être près de Romuald.
Je regarde ma nouvelle amie. Elle semble apaisée. Renouer avec ses racines lui fait un bien fou et c’est avec sérénité qu’elle avance vers l’avenir. Je suis si heureuse pour elle !
Le repas est délicieux. Je savoure le saumon fumé accompagné de petites meringues citron-aneth. Chaque bouchée est une merveille. Le vin moelleux réchauffe le cœur et l’ambiance déjà festive. Je retrouve la même joie qu’aux Noëls de mes six ans !
Après le plat principal, l’heure est venue de s’offrir les cadeaux. Mon père enfile un bonnet rouge en velours et commence la distribution. J’insiste pour que l’on ouvre nos cadeaux l’un après l’autre car j’aime voir la surprise puis le ravissement sur le visage de la personne que j’ai voulu gâter. Comme il n’y a pas d’enfant à table ce soir, nous pouvons nous remercier ouvertement. Ma mère ouvre un énorme sac contenant une doudoune jaune poussin. Elle a l’air à la fois ravie, mais un peu inquiète aussi. Je suis sûre qu’elle se demande si elle va oser la porter.
Les papiers cadeaux s’amoncellent, des chocolats et des livres font leur apparition pour notre plus grand bonheur ! Papa feuillette ses nouveaux cahiers et respire profondément leur odeur caractéristique comme le petit élève qu’il était. Il est transporté de joie à l’idée de commencer les séances avec l’atelier d’écriture même s’il appréhende un peu.
Tout le monde s’embrasse près de l’arbre. Nous nous remercions chaleureusement et je profite du brouhaha pour prendre les deux seuls paquets restés en retrait, presque derrière l’arbre. Ils m’ont intriguée toute la journée. Je crois que c’est la première fois que je reçois des cadeaux de Noël par la Poste ! Je monte en catimini dans ma chambre car, pour une raison obscure, j’ai envie d’être seule pour découvrir ce qu’ils contiennent.
Le grand paquet est plutôt plat mais il fait son poids. Lorsque je retire le joli papier orné de rennes, je découvre un magnifique cahier très grand format, à spirales. À l’intérieur, je reconnais immédiatement l’écriture et les photos ! Jenny a reconstitué les plus beaux moments de notre vie ensemble. Chaque photo est accompagnée d’une anecdote, une citation, un poème, une chanson. Je vois défiler devant mes yeux plus de trente ans de goûters d’anniversaire les lèvres barbouillée de chocolat, de carnavals, de rentrées scolaires. Nous sommes tantôt déguisées, tantôt en pyjama, au parc ou même au bain. Cheveux courts ou longs, en robe ou en jogging. Puis apparaît le maquillage, la dégaine d’adolescente, la moue blasée et le regard effronté. Les premiers petits copains, les soirées en boîte, les cuites que l’on essaie de cacher à nos parents. Les études, les diplômes, nos premières voitures, notre appartement. Je ris, je pleure. Le temps s’étire à l’infini. J’entends les rires en bas, signe que mon absence prolongée ne les dérange pas.
À la fin de l’album, il reste une dizaine de pages vierges. Jen a noté au stylo doré qu’elles seraient utiles pour coller des photos de tous les beaux moment qui nous attendent encore.
J’essuie mes larmes et pose délicatement ce précieux cadeau sur mon bureau. Mon cœur accélère légèrement tandis que je saisis la petite boîte. L’impatience est à son comble, la curiosité aussi. Je mets quelques secondes à défaire le ruban parme qui orne le paquet. La première chose que je vois, c’est une feuille de papier de soie rose froissée. Elle a même l’air parfumée. Je reconnais tout de suite le parfum de Thomas, boisé et masculin. J’ai terriblement envie de me nicher au creux de ses bras et je me demande quelle surprise il me réserve. Je soulève le papier et découvre avec enchantement une petite clé argentée sur un porte clé avec un F. Un petit mot l’accompagne :
Le bonheur n’a de prix que s’il est partagé.
Citation de Jules Sandeau ; Jean de Thommeray (1873)
Tu es entré dans ma vie et dans mon cœur.
J’aimerais que tu entres dans mes jours et dans mes nuits.
Thomas
Je serre la petite clé dans ma main. Thomas n’aurait pas pu trouver de cadeau plus adapté. Il m’offre la clé vers ma nouvelle vie. Notre nouvelle vie. Depuis un mois, j’ai l’impression que la terre a tourné plus d’une fois sur son axe, mais j’ai le sentiment d’éclore. Ce qui était figé a été bousculé, mes envies se révèlent, je suis moi. Je dois encore trouver ma voie professionnellement, essayer, me tromper, changer, échouer encore. Puis un jour viendra, je serai là où je veux être. Pour la première fois, ma boussole intérieure indique le Nord. Je suis sur le bon chemin.
En bas, Coralie et mon père s’égosillent sur ce qui me semble être un karaoké. J’embrasse la clé de chez Thomas de toutes mes forces et la remet soigneusement dans sa boîte. Pour l’instant, c’est mon secret, notre secret. Il est là, tapi au fond de moi et il me tient chaud. Je descends les escaliers à toute vitesse. Je me sens vivante. J’ai plus d’amour qu’il n’en faut.
Et pour le reste, j’ai la vie devant moi…
Fin
Diane