Nouvelle de l’Avent: 20/24

Je me réveille tôt, pour une fois, les idées claires et le cœur léger. Je suis tellement impatiente d’emmener l’étagère à livres chez Romuald. Papa est déjà parti, c’est son tour de faire l’inventaire de l’épicerie solidaire à laquelle il donne un peu de son temps depuis sa retraite. Pendant le petit déjeuner, Maman me questionne sur notre projet. Elle s’y intéresse véritablement et remarque que j’ai moi aussi les yeux qui brillent. Je ne sais pas pourquoi ça me tient tant à cœur d’aider Romuald à réaliser ce café littéraire. Certains diront que c’est pour tromper l’ennui. Je ne le crois pas. Je pense que, pour une fois, la vie me donne le temps de me questionner, l’opportunité de me connaître mieux. Un peu comme si j’appuyais sur la touche « pause » d’une télécommande. Je m’observe comme vue du dessus, j’analyse. Et petit à petit je comprends des choses.

Maman et moi terminons de ranger la cuisine quand j’ai une idée :

-Maman, tu as quelque chose de prévu aujourd’hui ?

-Rien de très important, un peu de ménage, du repassage…

-Ça te dit de venir avec moi ? Je dépose tout ça chez Romuald et on va faire un tour au centre-ville.

-Quelle bonne idée ma puce ! Je vais pouvoir acheter le cadeau de ton père.

Peu de temps après, nous voici garées devant le café de mon ami. Nous luttons quelques minutes afin d’extraire le meuble du coffre et entrons en trombe à l’intérieur. Il n’y a pas grand monde à cette heure matinale, excepté deux braves types qui, visiblement, n’en sont pas à leur premier whisky. Romuald pose son torchon en nous voyant. Il rayonne alors qu’il traverse la pièce.

-Ouah, il est très joli ce petit meuble, il ira très bien avec le nouveau style de mon café !!Tenez, j’ai prévu de mettre tout ça dans le fond de la salle si vous voulez.

Rapidement, l’espace lecture prend forme, les tables hautes disparaissent pour laisser place à des bobines de bois faisant office de tables basses. Romuald a déniché des lampes cuivrées à l’abat-jour en verre couleur jade, comme dans les grandes bibliothèques universitaires. Un joli paravent permet de séparer un peu le coin du reste de la salle. Nous posons le meuble et le remplissons des ouvrages choisis puis j’épingle sur le mur la feuille explicative avec mon dessin. Les coussins et plaids sont disposés ça et là, à la façon anarchiquement étudiée d’un catalogue IKEA.

Le tout donne un espace cosy, une bulle de douceur dans un café ordinaire, un endroit qui donne envie de se pelotonner dans un bon livre. Je suggère à Romuald d’installer tout près un bar à thé, idée qu’il adopte instantanément. Je sors mon téléphone pour envoyer une photo de notre « œuvre » à Papa et Thomas.

-Merci pour ton aide Fanny, je n’aurais jamais cru que ça irait aussi vite. Si tu as d’autres idées, n’hésite pas !

-Ça se pourrait bien ! Je vais y réfléchir !

Romuald nous offre un café avec des croissants et nous papotons encore une bonne heure jusqu’à ce que les premiers clients pour le repas de midi arrivent. Nous quittons les lieux avant le coup de feu, voyant Romuald courir en tout sens, apostrophé à droite et à gauche par les habitués du plat du jour.

-Il est vraiment gentil ce garçon. J’ai toujours pensé qu’il était amoureux de Coralie ! me dit ma mère, taquine.

-Je le pense encore mais cette cachotière ne veut rien lâcher ! Je lui tirerai les vers du nez la prochaine fois que je la vois!

Le trajet est long jusqu’au centre-ville. Des manifestants occupent les ronds points, rendant la circulation plutôt difficile. Ils ont fabriqué une baraque en tôle pour s’abriter du vent. Un brasero flamboie à quelques pas d’un sapin de Noël décoré. Je klaxonne en passant à leur hauteur et ils me renvoient un salut enthousiaste. Finalement nous trouvons une place tout près du Marché de Noël, pour le plus grand bonheur de ma mère qui frissonne dans son petit imperméable.

Pour le cadeau de Noël de Papa, nous craquons sur un magnifique stand de papeterie artisanale. Depuis sa confession sur son envie d’écrire, l’idée a fait son chemin et j’ai trouvé dans un petit village alentour une bibliothèque qui accueille une fois par mois un atelier d’écriture. Un mail a suffit pour y inscrire Papa dès début janvier. Il va être ravi ! Afin de stimuler son imagination et son envie d’écrire, nous achetons sur le marché de jolis cahiers ainsi qu’un magnifique stylo à plume en bois.

Maman est gelée mais repousse catégoriquement le vin chaud que je lui tends. Depuis qu’elle a été malade en 1975 avec un vin chaud, elle refuse d’y tremper les lèvres. Je lui fais un argumentaire digne d’un avocat des prud’hommes, tant et si bien qu’elle finit par y goûter sans conviction d’abord. Puis elle reprend une gorgée, avant de vider son gobelet d’un seul trait.

Après un autre verre, nous nous dirigeons vers la grande roue. Encore une fois, elle freine des quatre fers, c’est trop haut, elle a le vertige. Mais je n’ai pas de temps à perdre en discussions et l’entraîne de force à la caisse ou une femme nous tend nos tickets, l’air maussade.

Nous nous installons dans une sorte de petite cabine vitrée pourvue de deux banquettes se faisant face. Maman n’est pas rassurée et tremble de plus belle. Je me moque d’elle tandis que la cabine s’ébranle avant de monter vers le ciel. J’ai beau ricaner, je n’en mène pas large et décide de porter mon regard sur le toit de la cathédrale plutôt que sur le sol qui s’éloigne de plus en plus. La vue sur notre ville est absolument splendide. Les toits semblent minuscules, le ciel infini. Nous partageons ce moment de complicité en silence puis je sors mon téléphone et immortalise l’instant avec un selfie. J’aime cette complicité légère qui nous unit parfois, le grain de folie qui vient se glisser dans la mécanique d’une relation bien sage.

Alors que nous quittons la rue principale, je me fige subitement, en croisant le regard de Quentin…

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Diane

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