Je me remets au travail, finalise quelques commandes, remets des feuilles A4 dans la photocopieuse. Un énergie nouvelle s’empare de moi, je vais l’employer à découvrir quelqu’un de nouveau, je vais m’autoriser à profiter de chaque instant sans penser (trop) au lendemain.
Soudain, la responsable arrive, les mains nouées, l’expression gênée.
-Fanny, peux-tu venir dans mon bureau un instant, s’il te plaît
Je n’ai pas une immense expérience dans l’entreprise mais j’ai un mauvais pressentiment.
Francine s’installe derrière son bureau et me fait signe de prendre place de l’autre côté. J’aime bien cette femme, elle est douce et juste. Mais à ce moment précis, elle me dit :
-Écoute, je pense que tu devrais prendre un peu de repos.
Je m’étrangle :
-Quoi ? Mais je suis en vacances dans peu de temps !
-Je sais, Fanny, ne le prends pas comme ça. C’est juste que c’est assez calme en ce moment, comme tu as pu le remarquer et Mylène est encore en stage jusqu’aux vacances de Noël. Je suis d’accord pour que tu poses tes récup et que tu prennes soin de toi.
-Ah, je vois, c’est Joséphine qui t’a raconté, dis-je d’un air suspicieux.
-Elle s’inquiète pour toi. Elle trouve que tu as une petite mine, elle n’a pas tort.
-…
-Allez, prends ça comme un cadeau, des vacances prolongées. Tu reviendras en pleine forme en janvier.
Je quitte le bureau les idées floues. Je suis partagée entre la joie d’être enfin en vacances et la honte d’avoir été congédiée de la sorte. En tournant la tête, je vois Mylène, tout sourire, à ma place devant l’ordinateur. Elle doit être déjà en train de changer mon fond d’écran de paysage enneigé pour y coller une photo de Kendji car je sais qu’elle adore le chanteur tzigane.
Je me retrouve dans ma voiture, comme si on m’avait virée. Hop ! On n’a plus besoin de tes services, merci, au revoir. J’ai bien envie de passer à la maison de retraite et de faire avaler à Joséphine sa couverture en crochet. Mais je me ravise. Je suis certaine qu’elle a cru me rendre service en me mettant au repos.
Je m’arrête au supermarché et, la faim aidant, je remplis mon caddie de montagnes de bonnes choses, bien décidée à gâter un peu mes parents.
Une fois à la maison, je m’arrête devant la porte d’entrée. Un petit papier plié en quatre est scotché. À l’intérieur, un petit mot de Coralie avec son numéro de téléphone. Elle m’invite à lui donner mes disponibilités pour notre shopping déco de Noël. Elle ne pense pas si bien dire, mes disponibilités viennent tout à coup de prendre une dimension intergalactique. Le temps s’étire et je me demande bien comment je vais occuper toutes ces heures jusqu’à la reprise.
La maison est vide, Papa et Maman sont en visite dans la famille pour la traditionnelle distribution de gâteaux de Noël. Après avoir tout rangé, je me lance dans mes préparatifs. Ce soir, ce sera cake au saumon et à l’aneth, quiche aux poireaux et sa petite salade aux noix, et en dessert mousse au chocolat maison. Il n’y a rien à fêter, mais cuisiner m’occupe l’esprit et fait défiler les heures sur ma montre.
Il est 19h15 quand j’entends la clé dans la serrure. Le cake est sur la table, tiède et moelleux, la quiche encore au four, pas encore dorée et la mousse repose dans ses ramequins au frigidaire. Tout est prêt. J’entends mes parents s’extasier sur le fumet qui parvient à leurs narines.
Une demi-heure plus tard, nous voilà attablés, les joues rosies par un bon vin blanc. J’annonce à mes parents le début de mes vacances en omettant de raconter que ce repos m’a été imposé. Ma mère s’étonne, elle pensait que je devais encore travailler, mais qu’importe ?
Au moment du dessert, les lèvres sont chocolatées et les langues libérées. Pour la première fois, j’ai l’impression d’avoir un réel échange avec mes parents, entre adultes. Nous parlons de nos rêves. Mon père nous confie son rêve d’écrire, il avoue vivre dans son monde. Derrière ses grands yeux se cachent de très belles idées qu’il n’a jamais eu l’occasion de coucher sur le papier. Ma mère aimerait oser. Tout d’abord, je ne comprends pas.
Elle nous explique d’une voix émue :
-Je voudrais oser être moi. Je voudrais me libérer du regard des autres, de mon éducation stricte. Je voudrais oser porter une doudoune fluo si le cœur m’en dit, je voudrais goûter ces insectes comestibles, me baigner dans une eau à 5 degrés en plein hiver, monter dans la grande roue !
-Eh bien voilà des idées pour tes bonnes résolutions de 2019 !!!!!
Quand la question arrive à moi, je découvre avec horreur que je ne me suis jamais vraiment interrogée à ce sujet. De quoi ai-je vraiment envie ? Est-ce que mon travail me plaît ? Est-ce que j’aimerais voyager ? Apprendre encore et toujours ?
Je leur dis posément que je suis en train de me découvrir et que je pourrai répondre à leur question dans quelques temps…
Nous débarrassons dans la bonne humeur. Le programme télévisé annonce un film romantique de Noël. Nous nous équipons en mouchoirs, pains d’épices et tisane à la cannelle avant de prendre place au salon. Mes parents sont blottis sous un vieux plaid étoilé tandis que j’occupe le vieux fauteuil en cuir, celui qui appartenait à Mamie.
Tout à coup, mon téléphone vibre sur la table. Un coup d’œil sur l’écran fait bondir mon cœur dans ma poitrine.
Salut, j’ai appris que tu avais avancé tes congés. Tu vas me manquer. Thomas.
…
Diane