Nouvelle de l’Avent : 10/24

Le lendemain, en fin d’après-midi, je décide de passer voir Joséphine à la maison de retraite, comme je l’ai promis. J’emporte dans ma sacoche le catalogue des nouveautés en chaussons confort et prends l’autoroute en direction du centre Félix Château, situé à une vingtaine de kilomètres de là.

Lorsque je pénètre dans le grand hall d’entrée, je remarque les jolies décorations mises en place par le personnel soignant. Celles-ci ont été choisies avec goût et ne ressemblent pas aux gros nœuds de papier rouge que l’on voit dans les hôpitaux. Ici sont disposés de jolis sapins de bois, des boules en verre, translucides. Sur les vitres scintillent des étoiles réalisées avec un pochoir.

Des rondins de bois décorés de noix et de bougies sont poses sur le grand comptoir de l’accueil et l’hôtesse présente ce jour porte de jolies boucles d’oreilles en forme de canne à sucre.

Comme la dernière fois, elle m’indique le chemin pour rejoindre la chambre 19 en me précisant que Joséphine est un peu agitée aujourd’hui, qu’il vaut mieux éviter de la contrarier. J’en prends bonne note et me dirige vers l’aile ouest où sont logés les résidents les plus autonomes.

J’ouvre la porte de la chambre de Joséphine après avoir frappé. Celle-ci est confortablement installée dans son fauteuil relax, un plaid en crochet posé sur ses genoux. La télévision murmure un jeu télévisé et crache des jets de lumière dans l’atmosphère cotonneuse. Le radiateur doit être au maximum car il règne une chaleur suffocante. Pas étonnant que les personnes âgées ici soient toutes amorphes. Je tourne le bouton de deux crans et viens m’asseoir sur le repose pieds posé à côté d’elle.

Je regarde son visage de plus près. C’est une belle femme, j’aimerais voir des photos d’elle avant. Elle est tout en rondeur, des  joues rieuses et rebondies, des lèvres pleines, un corps chaud et moelleux qui invite aux câlins. Je ne connais pas Joséphine depuis très longtemps mais je tiens beaucoup à elle. J’aime son humour, son caractère bien trempé, sans retenue, sa bonté et son intelligence.

Soudain, elle ouvre les yeux. Je sursaute et elle pousse un cri en me voyant.

-Désolée, Joséphine, je ne voulais pas vous réveiller.

-Oh, ma petite Sandra, je suis si heureuse de te voir.

-Fanny. Je m’appelle Fanny.

-Pardon, se reprend-elle. Avec tous ces cachets qu’ils me donnent, je ne sais plus trop où j’en suis tu sais. Et je voudrais que tu arrêtes de me vouvoyer, s’il te plaît.

-Comment vas-tu ? Tu es bien ici ?

-Bah, on n’est jamais bien dans une maison de retraite. Tu verras quand tu y seras ! On mange mal, on dort mal. On est entouré de vieux. Heureusement qu’il y a le beau petit coiffeur du mardi, tiens, je ne sais plus comment il s’appelle celui-là ! Tu le connais toi ?

-Non, pas que je sache.

-Oh, il est craquant, je devrais te le présenter. Mais non ! Suis-je bête tu n’es pas sensée te marier avec l’autre là, comment il s’appelle déjà…

-Quentin, mais tu sais…

-Ah, oui, voilà, Quentin, m’interrompt-elle sans honte. Je suis désolée de te dire ça, ma petite, mais, tu n’as pas peur de t’ennuyer avec un type pareil ? Toi qui es si vivante, si pétillante.

-Je viens de le quitter.

Un sourire éclaire son visage.

-Tu es si jeune, je suis sûre que tu vas rencontrer quelqu’un qui te correspondra mieux.

Nous passons le reste de l’après-midi à bavarder. Je lui montre le catalogue et, après moult hésitations, elle se décide pour une jolie paire de chaussons en velours pourpre. Puis elle sort son vieil album photo que j’ai déjà parcouru au moins trois fois. Elle parle de son mari défunt, de sa nièce qui est tout pour elle, puisqu’elle n’a pas eu la chance de porter d’enfant. Nous parlons de nos rêves, de nos doutes.

De fil en aiguille, j’en viens à parler de Thomas. Le beau Thomas du travail, celui qui fait tourner les têtes avec son sourire ravageur. Sa douceur aussi, son odeur. Je lui parle de Quentin et du gel douche à la fraise des bois. De Jen, qui me manque terriblement pour traverser cette épreuve. De la maison de mes parents, de ma chambre qui me ramène à cette petite fille que j’étais et que je voudrais parfois quitter. Je termine en larmes, nichée dans ses bras. Son parfum bon marché me rassure, même si je sais qu’il va me coller à la peau pendant des heures, voire des jours.

Elle me serre dans ses bras, me murmure des mots doux. Moi qui ne devais pas la contrarier, je crois que c’est loupé.

Mais Joséphine sourit. Les yeux fermés. Elle chante une mélodie qui me berce.

Au moment de partir, elle me glisse dans le creux de l’oreille :

-Repose toi, tu m’as l’air épuisée. Prends soin de toi, ça prend du temps. Et tu trouveras aussi la jolie chaussure qui ira sur ton petit pied…

Diane

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